Coiffe des rotateurs et tendon patellaire : une exploration ciblée des tendinopathies

Dans l’univers complexe des tendinopathies, il est tentant de chercher des points communs entre les affections du membre supérieur et celles du membre inférieur. Cependant, en raison de leurs spécificités biomécaniques et cliniques, il semble difficile de regrouper toutes les tendinopathies sous une même approche comparative. Pour cette raison, cet article se concentre sur deux exemples emblématiques : les tendinopathies de la coiffe des rotateurs et celles du tendon patellaire. Ces deux localisations, parmi les plus fréquentes, représentent des entrées stratégiques pour explorer à la fois les similarités et les différences dans la physiopathologie, la prise en charge et les défis cliniques.

Par Jean-baptiste Duault, Frédéric Srour et Arnaud Van Marcke

Coiffe des rotateurs et tendon patellaire

Des contextes différents, unifiés par la surcharge

Coiffe des rotateurs et tendon patellaire

Malgré leurs rôles anatomiques et fonctionnels différents, les tendons de la coiffe des rotateurs et le tendon patellaire partagent un point commun : la charge qui s’applique sur eux et qui, lorsqu’elle n’est plus adaptée à leur capacité d’absorption, est responsable de microtraumatismes répétés, voire de lésions.

Cette surcharge mécanique sans quantification adaptée, conduit à une désorganisation des fibres de collagène, une accumulation de glucosaminoglycanes, une prolifération des ténocytes, et parfois une néovascularisation. Ces caractéristiques communes, bien documentées dans la littérature, reflètent un processus dégénératif similaire, même si l’exactitude de ces mécanismes peut varier selon les tendons étudiés (Y Xu et al. 2008).

Cependant, une différence majeure réside dans la nature évolutive de ces tendinopathies. Les tendons de la coiffe, notamment le supra-épineux, sont particulièrement vulnérables chez les patients de plus de 65 ans, avec une tendance fréquente à évoluer vers des ruptures dégénératives. A contrario, les tendinopathies du tendon patellaire, bien que douloureuses et invalidantes, ne montrent pas cette évolution vers la rupture spontanée dans la majorité des cas (le tendon patellaire peut supporter 2 à 3 fois le poids du corps lors des activités de la vie quotidienne et jusqu’à 6 à 8 fois le poids du corps lors d’activités sportives).

Souvent mentionnés, les processus inflammatoires sont peu voire pas présents ce qui explique l’utilisation du terme de “tendinopathie” en lieu et place de celui de “tendinite”. Il existe néanmoins des exceptions comme la tendinite du biceps qui révèle une véritable inflammation du tendon et de sa gaine.

Ces faits nous obligent à considérer que les tendinopathies ne sont pas forcément similaires à l’ensemble des tendons du corps.

Coiffe des rotateurs et tendon patellaire

Le continuum de Cook : une grille de lecture universelle ?

Le modèle du continuum de Cook offre une approche précieuse pour comprendre les tendinopathies, mais son application, notamment aux tendons de la coiffe des rotateurs, soulève des questions. Ce modèle décrit l’évolution des tendinopathies en différents stades : le stade réactif, le stade d’altération structurelle et le stade dégénératif (JL Cook et al. 2016. Figure ci-dessous). Si ce concept permet de mieux comprendre l’évolution du processus anatomo-pathologique et sa réversibilité potentielle, certains points méritent d’être questionnés.

Le fait que ce concept se base sur des évaluations paracliniques (imagerie) et non cliniques peut présenter des limites. En effet, si de nombreuses personnes asymptomatiques présentent des images pathologiques tendineuses sans exprimer de symptômes (LM Rabello et al. 2020), d’autres études montrent que la présence d’altérations structurelles du tendon constitue un facteur de risque à moyen terme. Cependant, il semble difficile de tirer des conclusions directes à ce jour au vu des nombreux facteurs pouvant influencer l’évolution pathologique du tendon et la symptomatologie associée (Lauren E. Splittgerber et al. 2019)

Coiffe des rotateurs et tendon patellaire

Dans ce contexte, les cliniciens doivent être prudents dans l’interprétation des stades du continuum, car certaines évolutions semblent déroger à cette logique. Par exemple, les symptômes douloureux peuvent diminuer rapidement grâce à des interventions ciblées (SJ Pearson et al. 2020), alors que la réparation structurelle du tendon nécessite plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Cette dissociation, entre douleur et structure est essentielle à comprendre pour éviter de tirer des conclusions hâtives sur les effets attendus d’un traitement de kinésithérapie.

Prise en charge : des stratégies spécifiques fondées sur des principes communs

La prise en charge des tendinopathies repose sur des principes communs, mais les stratégies spécifiques varient selon la localisation et les besoins fonctionnels des patients.

Coiffe des rotateurs et tendon patellaire

Coiffe des rotateurs : gérer la douleur et restaurer la fonction

Pour les tendons de la coiffe, la priorité est souvent de moduler la douleur tout en rétablissant progressivement la mobilité et la fonction. Les exercices isométriques sont souvent privilégiés dans les phases initiales pour potentiellement diminuer la douleur, en particulier chez les patients présentant une irritabilité importante. Ces exercices sont suivis par des mouvements contrôlés visant à restaurer l’amplitude fonctionnelle de l’épaule. Les améliorations fonctionnelles et sur la douleur précéderont toujours les améliorations hypothétiques structurelles des tendons de la coiffe.

Des exercices de renforcement musculaire progressif peuvent être proposés, de même que des exercices axés sur le contrôle moteur. Ces derniers semblent avoir des effets similaires, voire supérieurs en termes de diminution de la douleur et d’amélioration de la fonction (S Lafrance et al. 2021.)

Tendon patellaire : stimuler le remodelage tendineux

La rééducation du tendon patellaire s’appuie sur des programmes structurés de renforcement, notamment des exercices actifs qui visent à favoriser le remodelage des fibres de collagène. Le travail excentrique ayant été longtemps un modèle éprouvé, plusieurs études montrent aussi un réel bénéfice du travail isométrique sur la symptomatologie tendineuse (JE. Earp et al. 2023, C. Vang et al. 2020). Ces exercices permettent de diminuer la douleur tout en améliorant la capacité fonctionnelle.

Ces protocoles impliquent des charges élevées pour encourager une inhibition centrale, et à terme une régénération efficace tout en augmentant la tolérance du tendon à des efforts futurs. Enfin, une surveillance attentive de la charge est cruciale pour prévenir une aggravation des symptômes et adapter les exercices en fonction des seuils individuels de douleur.

Coiffe des rotateurs et tendon patellaire

Points communs et divergences : la Note au TOP

Coiffe des rotateurs et tendon patellaire

L’analyse des tendinopathies de la coiffe des rotateurs et du tendon patellaire met en lumière des similitudes dans leurs mécanismes adaptatifs à la charge, mais aussi des différences dans leurs réponses tissulaires et dans les approches des traitements.

Les tendinopathies de la coiffe des rotateurs semblent pouvoir être traitées par une action essentiellement sur les muscles (meilleure activation) et le contrôle moteur sans que des effets sur la structure des tendons n’aient été à ce jour identifiés.

Au membre inférieur le travail de renforcement musculaire afin de mieux absorber les impacts et mieux protéger des structures tendineuses constitue un objectif incontournable.

Ces distinctions rappellent que chaque tendinopathie doit être abordée dans son contexte unique, tout en s’appuyant sur des principes universels comme la gestion de la charge et l’individualisation des soins. Une compréhension approfondie des différences et des similitudes entre ces pathologies nous aide non seulement à affiner nos traitements, mais aussi à peut-être mieux prévenir l’apparition de douleurs ou de blessures à venir.

Il semble important d’inciter les kinésithérapeutes à orienter les patients en situation de plateau d’évolution voire d’echec, vers une prise charge médicale adaptée dans le cadre d’un travail pluri-disciplinaire efficace (M. Golman et al. 2020).

Notre expérience nous montre également qu’il existe au sein des mêmes tendinopathies des tableaux cliniques différents avec des patients qui ressentent des douleurs « à froid » (le matin au reveil ou après un temps de repos), tandis que d’autres les ressentent au fur et à mesure de leurs activités ou suite à une surcharge imposée aux tendons.

Coiffe des rotateurs et tendon patellaire

Ces considérations purement symptomatologiques non corrélées à la structure tendineuse nous amène à nous questionner sur le choix du meilleur traitement à appliquer dans ces deux cas :

Faudrait-il privilégier un travail d’adaptation à la douleur dans le premier et renforcer les capacités musculo-tendineuses pour supporter une contrainte dans le second cas ?

Actuellement, la science n’apporte pas de réponse claire à ces questions.  Cependant, il est indéniable qu’il s’agit d’une piste de travail intéressante et prometteuse pour accompagner nos patientes et nos patients.