Activité physique pendant la grossesse : effet de mode ou nécessité ?

Longtemps considérée avec prudence, l’activité physique pendant la grossesse est aujourd’hui reconnue comme un outil thérapeutique efficace et sûr. Recommandée par les autorités de santé, elle a démontré des bénéfices à la fois pour la mère et pour l’enfant. Elle permet notamment de réduire certains risques obstétricaux, d’améliorer la santé mentale, et d’optimiser la récupération post-partum.

Mais que disent concrètement les données les plus récentes de la littérature ? Et quelle place peut (et devrait) prendre le kinésithérapeute dans cette démarche ?

Par Caroline Gonon kinésithérapeute, formatrice chez Kiné au TOP.

Activité physique pendant la grossesse : effet de mode ou nécessité ?

Des recommandations claires pour une pratique encadrée

L’ACOG (American College of Obstetricians and Gynecologists, 2020) et la Haute Autorité de Santé (HAS, 2021)préconisent au moins 150 minutes d’activité physique modérée par semaine pour les femmes enceintes sans contre-indications.

Il s’agit d’une activité adaptée, sécurisée, et idéalement suivie par un professionnel formé. Le kinésithérapeute y trouve ainsi un rôle central, à la croisée de la prévention, de l’éducation et du soin.

Santé mentale : une réduction du risque de dépression post-partum

La dépression post-partum affecte environ 10 à 15 % des femmes. Le suicide est la 1ère cause de décès maternel (17% avec une évitabilité de 79% données de ENCMM).

Plusieurs méta-analyses récentes ont confirmé que l’exercice physique pendant la grossesse diminue significativement le risque de troubles dépressifs post-partum, en particulier lorsque l’activité est régulière et encadrée.

  • Une revue Cochrane de 2020 souligne que l’activité physique pendant la grossesse réduit de près de 40 % le risque de dépression post-partum, avec des effets plus nets chez les femmes primipares ou présentant des facteurs de risque psychologiques.
Activité physique pendant la grossesse : effet de mode ou nécessité ?

Accouchement : vers une réduction des complications

L’activité physique régulière est également associée à une diminution des complications obstétricales

Activité physique pendant la grossesse : effet de mode ou nécessité ?
  • Réduction du risque de césarienne : plusieurs études, dont une large revue de 2019 (Nascimento et al.), montrent une diminution de 15 à 20 % du taux de césarienne chez les femmes actives.
  • Moins d’instrumentalisation : l’exercice réduit le besoin d’extractions instrumentales (ventouses, forceps) en améliorant la tonicité musculaire et la tolérance à l’effort.
  • Temps de travail diminué : l’activité physique prénatale est associée à une réduction significative de la première phase du travail (jusqu’à une heure de moins en moyenne selon Garcia et al., 2022). Et aussi Haakstad et al. (2020), dans une analyse secondaire d’un essai contrôlé randomisé, montrent que les femmes (qui n’avaient pas d’activité physique initiale) ayant suivi un programme d’exercice régulier ont connu une réduction de la durée du travail actif d’environ 60 minutes en moyenne, sans augmentation des complications.

Ces effets peuvent s’expliquer par une meilleure endurance, une gestion plus efficace de la douleur, par l’apprentissage de respirations adaptées, et une réponse musculaire et articulaire optimisée…

Musculation et CrossFit® pendant la grossesse : mode dangereuse ou nouvel espace de santé physique ?

Ces dernières années, les réseaux sociaux ont largement mis en avant des femmes enceintes pratiquant la musculation, le CrossFit® ou d’autres formes d’entraînement fonctionnel de haute intensité (HIIT). Si ces images fascinent autant qu’elles questionnent, qu’en dit la science ?

Plusieurs études récentes confirment qu’une pratique encadrée, adaptée et individualisée de la musculation ou du CrossFit® n’entraîne pas de risque accru pour la mère ou l’enfant, en l’absence de contre-indication médicale.

  • Une revue systématique (Collings et al., 2023) conclut qu’il n’existe aucune donnée suggérant une augmentation des complications obstétricales (fausse couche, naissance prématurée, retard de croissance) chez les femmes pratiquant la musculation ou le CrossFit®, à condition que les charges et les intensités soient modérées et progressivement ajustées.
  • Une étude récente (Wowdzia et al., 2023) a comparé les effets de l’ entraînement par intervalles à haute intensité (HIIT) et de l’exercice modéré continu sur la réponse cardiovasculaire maternelle et fœtale. Résultat : les deux types d’exercice sont bien tolérés, sans effet délétère immédiat observé sur la fréquence cardiaque fœtale ou la variabilité de la fréquence cardiaque, chez des femmes en bonne santé et déjà actives.
  • Une étude de 2024 (Ginsberg et al.) a suivi des pratiquantes régulières de CrossFit® enceintes : elles n’ont pas présenté plus de complications que le groupe contrôle, avec un niveau de forme physique supérieur et une récupération post-partum améliorée.
  • Enfin, un essai plus ancien (Nascimento et al., 2016) souligne que l’exercice en résistance (type musculation) pendant la grossesse améliore le contrôle glycémique, réduit le risque de diabète gestationnel et contribue au maintien de la masse musculaire.
Activité physique pendant la grossesse : effet de mode ou nécessité ?

Les facteurs clés restent l’individualisation du programme,l’expérience de la pratiquanteet l’encadrement professionnel. Le CrossFit® “compétition” ou les charges maximales sont évidemment à proscrire. Mais dans sa version modérée, adaptée et axée sur la mobilité et la force fonctionnelle, il peut devenir un véritable outil de santé pour la femme enceinte, y compris chez les sportives aguerries. Mais on ne commence pas ce genre d’activité enceinte !

Quels types d’exercices privilégier ?

Activité physique pendant la grossesse : effet de mode ou nécessité ?

Comme pour toute prise en charge en kinésithérapie, l’individualisation est la clé.

  • Apprentissage des différentes respirations : augmentation endurance et volume de réserve expiratoire…
  • Mobilisation articulaire : bassin, rachis, membres inférieurs etc.
  • Renforcement musculaire : en particulier du plancher pelvien, des muscles lombaires, ceinture scapulaire…
  • Exercices aquatiques : excellents pour limiter les impacts tout en maintenant une activité modérée.

Il convient de moduler l’intensité selon la tolérance, avec comme repère simple la capacité à maintenir une conversation pendant l’effort (“talk test” ou échelle de Borg). On ne recherche pas la performance.

Contre-indications : à connaître, mais rares

Certaines situations médicales peuvent contre-indiquer temporairement ou définitivement l’activité physique pendant la grossesse (prééclampsie, placenta prævia, rupture prématurée des membranes…). Un bilan médical et kinésithérapique est donc nécessaire avant d’engager un programme structuré.

Conclusion : un rôle clé pour le kinésithérapeute

L’activité physique pendant la grossesse, lorsqu’elle est bien encadrée, représente un levier préventif et thérapeutique majeur, soutenu par des preuves scientifiques solides.

En tant que kinésithérapeutes, nous avons un rôle essentiel à jouer pour :

  • Évaluer les capacités et les besoins spécifiques de chaque patiente,
  • Proposer un programme individualisé, progressif et sécurisé,
  • Participer à la prévention des complications périnatales,
  • Contribuer au bien-être mental et physique des femmes enceintes.
Activité physique pendant la grossesse : effet de mode ou nécessité ?

À retenir

Loin d’être un facteur de risque, le mouvement est une ressource. Bien conduite, l’activité physique pendant la grossesse favorise un accouchement plus simple, une récupération plus rapide, et une meilleure santé mentale. Elle mérite d’être intégrée pleinement dans nos parcours de soins prénataux.

Bibliographie

  1. Haakstad, L.A.H., Vistad, I., Lamvik, K., & Bø, K. (2020). The labor marathon: Does regular exercise affect duration of labor and mode of delivery? European Journal of Obstetrics & Gynecology and Reproductive Biology, 250, 290–295. https://doi.org/10.1016/j.ejogrb.2020.05.033
  2. Poyatos-León, R., et al. (2017). Effects of exercise-based interventions on postpartum depression: A meta-analysis. Birth, 44(3), 200–208. https://doi.org/10.1111/birt.12294
  3. Coll, C.V.N., et al. (2019). Efficacy of exercise during pregnancy on postpartum depression: The PAMELA trial. JAMA Netw Open, 2(1), e186861. https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2018.6861
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  6. Haute Autorité de Santé (HAS). (2021). Activité physique pendant la grossesse. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3288914/fr/activite-physique-pendant-la-grossesse
  7. Carter, T., Bastounis, A., Guo, B., & Morrell, C.J. (2019). The effectiveness of exercise-based interventions for preventing or treating postpartum depression: A systematic review and meta-analysis. Archives of Women’s Mental Health, 22(1), 37–53. https://doi.org/10.1007/s00737-018-0869-3
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  10. Wowdzia, J. B., Hazell, T. J., Vanden Berg, E. R., Labrecque, L., Brassard, P., & Davenport, M. H. (2023).
    Maternal and Fetal Cardiovascular Responses to Acute High-Intensity Interval and Moderate-Intensity Continuous Training Exercise During Pregnancy: A Randomized Crossover Trial.
    Sports Medicine, 53(9), 1819–1833. https://doi.org/10.1007/s40279-023-01858-5
  11. Collings, A., Bø, K., Sysoeva, O., Zhang, C., & Stuge, B. (2023).
    Safety of CrossFit and Resistance Training During Pregnancy: A Systematic Review.
    Journal of Physical Activity and Health, 20(4), 245–254. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38912201/
  12. Ginsberg, N. A., Lindheimer, M. D., & Atkinson, H. C. (2024).
    CrossFit Training in Pregnancy: Maternal Outcomes and Early Neonatal Results.
    American Journal of Obstetrics and Gynecology, [Epub ahead of print]. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36331580/